Entre la fin des années soixante-dix et la fin des années quatre-vingt, un petit groupe d'hommes et de femmes a accepté Roch Thériault comme leur leader.
Roch Thériault croyait que Dieu lui avait confié une mission particulière soit celle de participer à la construction d'un monde meilleur en vue de l'arrivée prochaine de l'apocalypse et, par la suite, d'un monde nouveau. Avec l'objectif initial d'offrir des services de désintoxication, quelques personnes ont accepté de suivre Roch Thériault à travers diverses régions du Québec. Ces personnes croyaient pour la plupart que ce projet donnerait un sens nouveau à leur viefn 100 .
Sur une période d'environ 12 années, une vingtaine de personnes a quitté parents et amis afin de vivre ce qu'elle croyait être une existence pure à l'abri de la tentation et du péché. Partant d'un désir de sauver le monde de ses dépendances, les membres du groupe ont progressivement modifié les raisons qui motivaient leur participation au groupe. Après quelques mois, les membres ne voulaient plus uniquement aider les gens dans leur processus de désintoxication, ils désiraient assister Roch Thériault dans la réalisation de sa mission «divine».
Au cours de cette période, les membres du groupe ont vécu un rêve : celui d'être le peuple élu de Dieu. Pour quelques-uns, l'expérience fut parfois difficile mais généralement satisfaisante. Pour d'autres toutefois, la poursuite de l'idéal est devenue un cauchemar. Certains ont beaucoup souffert afin d'être reconnus comme des fidèles obéissants et dignes d'être acceptés dans le royaume de Dieu. D'autres subissent toujours les séquelles physiques et psychologiques et les pertes monétaires de leur appartenance au groupe. Dans la section suivante leur histoire est retracée.
À la fin des années soixante-dix Roch Thériault est membre de l'Église Adventiste du 7e jour.
Habité par un désir d'aider la population à se débarrasser de sa dépendance aux drogues et à la cigarette, Roch Thériault cherche une idée efficace pour intervenir. Il décide d'offrir des conférences sur la santé aux fumeurs partout au Québec. Il décrit ainsi le service qu'il offre :
J'ai organisai des séances de désintoxication dans plusieurs villes du Québec, dans les comtés de Beauce, de Lotbinière, de Dorchester, de Bellechasse. Un programme de cinq jours, basé sur une saine alimentation, la psychologie et la thérapie de groupe, donnait d'excellents résultatsfn 101.
Lors de rencontres organisées par l'Église Adventiste du 7e jour Roch Thériault discute de ses conférences, ainsi que de son projet de désintoxiquer les Québécois de leurs dépendances. Après de nombreuses rencontres et discussions, quelques personnes décident de se joindre à lui et de poursuivre avec lui sa mission soit désintoxiquer le Québec.
Bien que l'objectif initial de Roch Thériault ne soit pas de fonder un groupe ou une commune, plusieurs membres décident de cohabiter et de poursuivre avec lui sa mission. Selon Roch Thériault, la création de la commune est plus un événement fortuit que planifié:
La venue de ces collaborateurs et collaboratrices posait un sérieux problème d'organisation. Tous avaient quitté un emploi rémunérateur pour se consacrer à plein temps à ce nouveau travail. Étant donné que mes cours n'étaient pas tarifés et que les participants donnaient ce qu'ils voulaient à la fin de chaque séance, il m'était impossible de verser un salaire à chacun de mes adjoints. Voilà pourquoi nous avons décidé de tenter l'aventure de la vie communautairefn 102.
Au début de son histoire, le groupe organise des banquets gratuits pour les plus démunis. Il accueille une jeune fille souffrant de sclérose en plaques, la soigne et lui offre du réconfort.
Selon les paroles de Roch Thériault, l'ensemble des soins offerts gratuitement à la population ameute l'Église Adventiste du 7e jour. Après maintes discussions entre l'Église, Roch Thériault et ses disciples, les membres du groupe sont bannis.
Malgré cette crise, les membres continuent à offrir leurs services dans différentes régions du Québec.
Après quelques mois, le désintérêt progressif des québécois pour les séances de désintoxication entraîne le départ des membres vers une région isolée du Québec.
Roch Thériault, qui perçoit que le monde est intransigeant à l'égard du groupe, demande aux membres de cesser tout contact avec parents et amis. Il appuie sa demande sur une parole de la bible : « Garde-le méchant loin de toi. »fn 103
À la même époque, suivant les conseils de Roch Thériault les membres du groupe se vêtissent d'une tunique identique.
Le 5 juin 1978, quelques personnes partent explorer la Gaspésie, une région de l'est du Québec, pour trouver une nouvelle résidence. Roch Thériault raconte comment il a décidé de partir de la Beauce, une région du sud du Québec, en direction de la Gaspésie.
Nous vivions tous ensemble depuis près d'un an quand je pris la décision d'aller m'établir là haut, sans caresser le projet d'emmener avec moi le reste du groupe. Il faut dire que ce qui me poussait ainsi à m'isoler en ce lieu que j'estimais magique était irrationnel, inexplicable et je dois l'avouer bien personnel. Mais le temps avait raffermi nos relations et nous étions plus que jamais unis dans cette aventure. Bien que je fusse à l'origine de la formation du groupe, toute décision majeure concernant la vie de ce dernier avait toujours été prise avec l'assentiment de la majorité des membres. Ainsi ne fus-je pas surpris que tous décident sans hésitation de se joindre à moi pour préparer notre départ vers la montagne.fn 104.
Le 9 juillet 1978, l'ensemble du groupe s'installe dans un lieu isolé de la forêt gaspésienne.
Le 11 juillet 1978, le groupe commence la construction d'un chalet.
Peu de temps après leur arrivée en Gaspésie, Roch Thériault décide d'attribuer un nouveau nom à chacun des membres, afin de marquer leur nouveau départ.
Il inscrit ainsi des noms sur des bouts de papier. L'un après l'autre, chaque membre pige le nom qu'il portera : Caïn, Juda, Gédéon, Rachel, Schua, Thina, Salomé, Élon, Kétura et Achab.
Les membres décident d'un commun accord de donner à Roch Thériault un nouveau nom: il le renomme Moïsefn 105.
Le 3 janvier 1979, le premier enfant de Moise naît dans la communefn 106. Au cours des 12 années d'existence du groupe, plus de 20 enfants naîtront de cinq femmes appartenant au groupe. Moïse sera le père de la majorité d'entre eux.
Roch Thériault annonce que la fin du monde arrivera le 19 février 1979.
Le 19 février, rien ne se produit. Pour expliquer cette erreur, Roch Thériault mentionne à ses membres que bien que Dieu lui ait indiqué cette date, rien n'était certain. Il explique qu'une seconde dans la vie de Dieu peut être 40 ans de vie sur terre et inversement une seconde sur terre peut être 40 ans dans la vie de Dieu, alors il est probable que les calculs aient été faussés.
Les membres ne sont pas déstabilisés par l'erreur de prédiction de Roch Thériault. L'ensemble des membres poursuit l'objectif qu'ils se sont fixé : assister Roch Thériault dans sa mission divine.
À la suite d'une entrevue accordée par Roch Thériault sur les ondes radiophoniques, la police localise le groupe et fait respecter une ordonnance de la cour. Les autorités amènent ainsi un membre à l'hôpital pour que ce dernier soit évalué par les psychiatres de l'établissement. La police amène également Roch Thériault et trois autres membres au poste de police afin de les interroger.
Les membres sont libérés peu de temps après. Toutefois, Roch Thériault dit « Moïse » est accusé d'entrave au tribunal, puisqu'il avait refusé qu'un membre de son groupe soit livré aux autorités, afin d'être évalué par un professionnel de la santé mental. Suite à une évaluation psychiatrique, Roch Thériault est reconnu inapte à subir un procès. Il est alors transféré dans une institution psychiatrique de la région de Québec.
Après une seconde évaluation psychiatrique qui confirme cette fois que Roch Thériault est apte à subir un procès, ce dernier comparait en cours pour entrave au tribunal. Il est condamné et reçoit une sanction que le juge suspend.
Roch Thériault retourne à la commune le 27 avril 1979fn 108.
La violence physique commence quelque temps après le retour de Moïse au sein du groupe. Gabrielle Lavallée est alors battue par Moïse à coups de ceinture. Elle est punie parce qu'elle s'est endormie à la toilette durant un discours du leader.
Après cet épisode, les sanctions physiques infligées aux membres deviennent de plus en plus fréquentes. Les membres participent même aux séances de corrections. Gabrielle Lavallée relate ainsi une agression dont elle a été victime :
Avoue que tu es une moins que rien (Moïse) ! – Je le suis, Papy (Gabrielle) ! – Alors il faut que je te punisse ? (Moïse). Oui Enfin non je ne le sais pas ! (Gabrielle) Il se tourne vers les autres. -« Corrigez-la, vous autres (Moïse) ». Faites-lui ce que vous croyez que l'on devrait vous faire. Tous tournent autour de moi, me décrochent des coups de pied, me tirent les cheveux, les poils du bas-ventre, des aisselles. Je hurle, j'ai tellement peur que je défèque. Schua pousse un cri, Moïse vient de l'étaler d'un coup de poing. « Quand tu châties une amie, lui crie-t-il, tu ne dois pas faire semblant. Maintenant frappe Thirtsa (Gabrielle) comme toi tu le mérites ». Je la vois qui se relève, ébranlée. Elle s'approche de moi et me lance un grand coup de pied dans l'estomac qui me plie en deuxfn 109.
Roch Thériault se reconnaît de plus en plus comme tout puissant. Il croit même posséder des dons de chaman et de guérisseur. Il commence alors à imposer des traitements aux membres malades. Il procède, par exemple, à un lavement intestinal au vin chaud pour guérir les faiblesses d'un disciple.
Dans une séance de punition, il demande à deux membres de sortir nues à l'extérieur en période hivernale. Un membre puni demande : « Mais, Papi, on gèle dehors : on va tomber malade ». Et Moïse répond: « Vous ne tomberez malades que si je le décide. Rien ici ne peut se produire sans mon aval, qui n'est que le désir de mon Maître. Dehors ! Babyloniennes »fn 110.
Moïse demande une obéissance absolue aux membres de son groupe. Au cours d'une séance de punition, il demande à un membre de couper l'orteil de sa conjointe. L'homme lui obéit. Ensuite, Moïse demande à cet homme de couper le doigt de Gabrielle, encore une fois il se soumetfn 111.
Un enfant du groupe, du nom d'Ezéchiel, est blessé après avoir été battu par un membre. Pour le guérir, Moise, assisté de Gabrielle, lui injecte une poire d'alcool à friction dans l'estomac et fait une excision partielle du prépuce de l'enfant. Quelques jours après cette « opération », le 23 mars 1981, l'enfant meurt.
L'homme qui a battu l'enfant est alors castré par Moïse assisté de Gabrielle. Moise croit que cette opération purifiera l'agresseur.
Le 12 novembre 1981, la police visite la commune. Elle questionne alors certains membres sur une altercation qui s'est produite entre les membres et quelques bûcherons. Après avoir interrogé les membres du groupe, les policiers repartent.
Le 9 décembre 1981, la police visite une fois de plus la commune, après avoir recueilli le témoignage de l'homme castré. La police procède à l'arrestation de quatre membres dont Moïse concernant la mort d'Ézéchiel.
Le 18 décembre, ils sont accusés de responsabilité criminelle dans la mort de l'enfant.
En plus, Gabrielle Lavallée est accusée d'avoir délibérément assisté Moïse lors de sa castration de ce membre, alors que en tant qu'infirmière, elle savait que le traitement pouvait causer du tord.
Le 23 décembre, le juge Jean-Roch Roy envoie un avis d'éviction de la montagne aux disciples du groupe. Le 18 janvier 1982, les membres qui restent à la commune sont évacués par des gardes forestiers.
Le 28 septembre 1982, les quatre membres accusés sont reconnus coupables de pratique illégale de la médecine causant la mort du jeune Ézéchiel. Ils reçoivent alors tous une sentence d'incarcération variant entre neuf mois et un an.
Durant son incarcération, Moïse écrit un livre sur la vie du groupe dans la forêt gaspésiennefn 112 .
Le 1er mai 1984, le groupe quitte la Gaspésie pour Burnt River en Ontario. Les membres construisent un nouveau campement dans un champ éloigné du villagefn 113.
Ce déménagement ne freine pas les histoires morbides, alors que le 26 janvier 1985fn 114, le fils de Gabrielle meurt. L'autopsie révèle que cet enfant est mort du syndrome du nouveau-né.
Peu de temps après la mort de l'enfant de Gabrielle, un enfant s'enfuit après avoir été sévèrement battu. Il déclare à la police avoir été victime d'une agression sexuelle commis par Moise. À la suite à cet incident, les 17 enfants nés dans la commune sont retirés du groupe et confiés à la Société de l'aide à l'enfance de l'Ontario (Children's Aid Society).
Le 29 septembre 1988, une femme meurt après avoir été opérée par Moise. L'opération avait pour but de la soulager de maux de ventre. Le groupe enterre la morte qui sera, quelques jours plus tard, déterrée. À trois reprises, le corps est enseveli et déterré par les membres du groupe pour être finalement inhumé. Moïse conserve toutefois un morceau d'os de la défunte qu'il garde sous sa barbe.
Pour survivre en Ontario et pour gagner l'argent nécessaire à l'achat des biens essentiels, les membres du groupe fabriquent du pain et des pâtisseries qu'ils vendent de porte en porte.
Le 5 novembre 1988, Moïse arrache huit dents à Gabrielle pour la punir de la diminution des ventes de pâtisseries. Après cet événement, Gabrielle s'enfuit. Elle retourne dans le groupe quelques jours plus tard.
Après cet épisode, Gabrielle quitte et réintègre le groupe à plusieurs reprises.
Après une visite chez son frère le 23 mai 1989, Gabrielle retourne dans le groupe, à cette époque elle reconnaît avoir peur de Moïse mais également ne pas pouvoir vivre sans lui.
Peu de temps après son retour Moïse remarque que Gabrielle a un doigt paralysé. Il lui ordonne de venir lui montrer. En l'observant, il lui transperce la main avec un couteau de chasse. Roch Thériault oblige Gabrielle à subir une amputation de la main. Il explique la nécessité de cette procédure par le danger probable de gangrène. Moïse coupe le bras de Gabrielle.
Après cet épisode, Gabrielle met de côté des vêtements et attend le moment propice pour quitter le groupe.
Le 14 août Gabrielle s'enfuit définitivement de la commune. Dès son arrivée au village, elle est hospitalisée. Durant son séjour à l'hôpital, elle confie à un policier les sévisses qu'elle a subis dans la commune.
Après le témoignage de Gabrielle Lavallée, la police recherche Moïse. Cinq jours après l'hospitalisation de Gabrielle, Moïse, deux de ses femmes et deux enfants sont arrêtés alors qu'ils se préparaient à s'enfuir aux États-Unis.
Au mois d'octobre 1990, Roch Thériault est condamné pour avoir :
· Arraché huit dents à l'aide de pinces;
· Infligé des blessures à la main ;
· Amputé un bras ;
· Cautérisé la plaie infligée à Gabrielle Lavallée.
Moïse est également accusé du meurtre de Solange Boilard. Crime pour lequel il est reconnu coupable et incarcéré pour 25 ans.
Voici un commentaire de Roch Thériault sur les événements qui ont conduit à son incarcération :
Bien des choses se sont passées à Burnt River. Mon alcoolisme y fut pour beaucoup en servant de catalyseur à mes déséquilibres psychosomatiques. On m'a reproché surtout l'intervention exploratoire que j'ai pratiquée sur Simone (Solange Boilard), ma bien aimée, alors à l'article de la mort. Elle mourut le lendemain, et je ne m'en suis jamais remis. On m'a reproché aussi l'amputation du bras d'une des membres du groupe. Ajouté aux actes brutaux dont je me suis rendu coupable sous l'influence de l'alcool et de la furie ascétique qui me possédait, cet exercice illégal de la médecine aggravait les chosesfn 115.
Roch « Moise» Thériault est toujours incarcéré.
Depuis le début de son incarcération en 1989, Roch Thériault a été transféré dans différents pénitenciers canadiens. Dans chacun de ces pénitenciers, il reçoit de fréquentes visites de trois membres féminins de son groupe. Depuis 1989, Roch Thériault est devenu père de quatre enfantsfn 116.
Le 12 juillet 2002, en réponse à une demande de libération conditionnelle de Roch Thériault, la commission des libérations conditionnelles refuse de le libérer. Elle s'appuie sur différentes évaluations psychologiques et psychiatriques, pour justifier sa décision. La commission considère que Roch Thériault représente toujours un risque élevé pour la société.
Roch Thériault précise qu'il ne désire plus obtenir une libération conditionnelle dans l'immédiat, il craint les représailles dont il pourrait être l'objet lors de sa réinsertion dans la communautfn 117.
À l'origine, les normes consistaient à s'efforcer de vivre hors du péché. Pour y arriver, les membres devaient minimiser leur consommation de biens et partager ce qu'ils possédaient.
Voici quelques exemples des règles en vigueur au début de la vie en groupe :
· Vivre selon le mode de vie des premiers Chrétiens ;
· Vivre hors du péché ;
· Se détacher de ses biens, de toutes ses possessions ;
· Consacrer son temps au travail pour la communauté ;
· Manger le moins possible afin d'éviter le péché de gourmandise ;
· Se soumettre à des séances de confessions communautaires ;
· Consulter Moïse avant toute décision ;
· Respecter le code vestimentaire prescrit par Moïse : tunique, aucun sous-vêtement.
Progressivement, le contrôle de Moïse sur ses membres devient plus important, les règles en vigueur deviennent de plus en plus nombreuses. Elles concernent, entre autres, la vie sexuelle des membres, leurs comportements, leurs décisions quotidiennes, leurs interactions avec les non-membres. Voici quelques exemples:
· Les membres qui veulent avoir une vie sexuelle doivent d'abord être bénis par Moïse par le sacrement du mariage et ensuite obtenir son approbation avant toute activité de procréation. Roch Thériault décide quels membres auront des activités sexuels et avec qui ;
· Les membres doivent avoir le moins de contacts possibles avec les gens qui ne vivent pas dans la commune, puisque ces derniers sont considérés comme impures ;
· Les mères ne peuvent s'occuper personnellement de leurs enfants. Dans le groupe l'éducation des enfants est la responsabilité unique d'une ou deux femmes ;
· Les membres doivent apprendre à suivre à la lettre la parole de Moise. Ils ne doivent pas écouter leur voix intérieure, puisque celle-ci est considérée comme la voix du Diable.
Quelques semaines après la formation du groupe, Roch Thériault établit un système de normes pour les membres et un second pour lui. Par exemple, alors que les membres se nourrissent de grains et de légumes, son alimentation comprend divers produits des quatre groupes alimentaires.
Alors qu'il interdit aux membres d'avoir des rapports sexuels hors des liens du mariage, il se permet d'avoir des relations avec la plupart des femmes du groupe.
Il s'attribue rapidement le droit de dévier de la norme établie. Il justifie son comportement aux membres en précisant la nature sacrée de son rôle dans le groupe. Comme il est le représentant de Dieu, il peut avoir des rapports sexuels avec l'ensemble des femmes parce qu'il répand ainsi la semence de Dieu sur terre. Il trouve également une justification à son régime alimentaire copieux. Selon les explications qu'il fournit au groupe, la consommation de produit frais a des effets dévastateurs sur son corps, ainsi son régime alimentaire est un moyen de souffrir et non pas un péché de gourmandise. .
Les membres doivent respecter l'ensemble des normes en vigueur dans le groupe et surveiller leurs comportements afin d'éviter d'être puni par Moïse.
Roch Thériault se reconnaît d'ailleurs comme le juge de la pureté des membres et de leur capacité à respecter les normes. Les membres fautifs sont battus par Moïse et parfois par les autres membres. D'ailleurs les séances de purification par la violence sont un mode de sanction privilégié par Moise.
Il y a les périodes de purification où, tous nus, Moïse nous écharpe afin que nous trouvions l'inspiration d'écrire nos fautes pour le journal des enfants d'Israël, le périodique de notre communauté. Suite à ces séances nous gisons aux quatre coins de la maison, blessés à tel point qu'il m'est arrivé de changer dix fois l'eau du seau de cinq gallons afin de faire disparaître les flaques de sang sur le plancherfn 118.
Lorsqu'un membre manifeste son désir de partir, Roch Thériault le dissuade. Voici un extrait d'un épisode :
Elle revient en marchant devant lui, elle se tient le dos et a le visage ravagé par la douleur et les larmes. Je réalise avec stupeur qu'il a dû la battre. « C'est pour son bien. Qui aime bien châtie bien ; rien de tel qu'un bâton sur l'échine ». Roberte ne veut plus partir, réjouissez-vous, j'ai arraché la brebis égarée dans des serres du malin et la ramène au sein du troupeaufn 119.
Dans l'existence de la commune, les exigences de Moïse au conformisme deviennent de plus en plus importantes. Les sanctions imposées par Moïse favorisent d'ailleurs une soumission extrême des membresfn 120. Un ancien membre affirme :
Aujourd'hui je constate que les rapports qui existèrent entre chaque individu formant le groupe, y compris son chef, procédaient en majeure parti, d'une sorte de camouflage, d'une espèce de jeu de cache-cache avec soi-même. Le tout s'accomplissait sous l'élogieux et sincère prétexte d'obtenir, dans ce jeu des plus sérieux, la Grâce divine par l'intercession du présumé représentant du Très Haut. Pour ce qui est dudit représentant, le privilège de gardage son troupeau lui permettait d'accéder au triomphe de la céleste gloirefn 121.
Je tiens à mentionner que, pendant toute la durée de cette existence commune, notre cheminement se déroula dans un mutisme des plus complets de part et d'autre, car le dialogue était inexistant. Chacun respectant un zèle inspiré par la foi et le dévouement à une cause devenue au fil des années de plus en plus obscure et un jeu de plus en plus dangereux. Ses adeptes, dans leurs rôles respectifs de comédiens dramatiques, effectuaient les périlleuses cascades qui allaient de pair avec les péripéties du scénario propre à leur salut devant l'ampleur de la catastrophe, certains tentèrent d'amorcer un dialogue, mais en vain, nous étions pris de fanatisme. Nous nous enfoncions dans l'idéal d'un sacrifice qui devait faire de nous des enfants de Dieu. Les tâches journalières, auxquelles s'ajoutaient divers travaux supplémentaires, représentaient la planche salvatrice par excellence. Dans notre ignorance, nous glissions à toute allure dans les bas fonds d'une déchéance personnelle. Cette régression créa des embûches dans nos relations. Notre affection disparut. Chacun, chacune, sombra dans un terrible isolement dépressiffn 122.
Moïse explique la raison pour laquelle les membres doivent respecter les règles à la lettre :
Si vous êtes prêts, je veux que vous fassiez la promesse que vous ne rouspéterez pas, quoi qu'il arrive. Dans cette entreprise, vous avez besoin d'un guide ; les Hébreux n'arrivaient pas quitté l'esclavage égyptien sans Moïse, il en est ainsi pour vous. Même si je ne comprends pas pourquoi et de toute façon mon rôle n'est pas d'interpréter les voies du Seigneur, mon maître m'a choisi pour vous guider. Si vous suivez, vous devez suivre mes enseignements et vous garder de les critiquer quoi qu'il advienne. Ce n'est pas ma volonté qui agira, mais celle du Maître. Ce n'est pas moi que vous allez suivre, mais le Maître à travers moi. Je vous demande donc à présent, avant de continuer plus loin vers la montagne que le maître nous donne pour nous protéger de Son courroux, je veux que vous prêtiez sermentfn 123.
Je réalise que Papy nous demande à présent de renoncer à toute forme de démocratie, de remettre notre vie entre les mains de Dieu à travers lui, de reconnaître à tout jamais une sorte d'alliance nouvelle envers lui, le Berger, et nous, les brebisfn 124.
Dans le groupe, le monde est séparé en deux univers : les bons et les méchants ; les membres respectueux des normes et les membres non respectueux ; les membres et les non membres. Cette vision du monde a pour effet d'isoler les membres du monde extérieur, puisque ces derniers évitent de parler avec les non-membres afin de ne pas être influencé par ces êtres impurs.
Roch Thériault croit qu'il a une mission spéciale sur terre. Il croit qu'il est différent des autres êtres humains. Il se décrit comme l'élu de Dieu.
Ne le prenez pas mal, mais vous êtes tous à des degrés de cheminement spirituel nettement inférieurs au mien ; c'est pour cela que vous ne pouvez m'accompagner jusque là-haut. Je suis le dernier prophète sur cette terre et mon Maître me parle directement tel qu'il le fit à mon lointain ancêtre, Moïsefn 125.
Le fait qu'il se perçoive comme un être différent de la masse justifie à ses yeux l'ensemble des demandes qu'il formule à ses disciples. Par exemple, le fait qu'il parle avec Dieu, qu'il soit son représentant sur Terre, permet à Moïse de demander aux femmes d'avoir des relations sexuelles avec lui :
Il faut que je vous annonce à présent que mon Maître m'a ordonné de prendre plusieurs épouses afin de les instruire / / Mon Maître m'a autorisé à prendre pour concubines les femmes qui me suivraient et à leur enseigner le véritable amourfn 126.
Roch Thériault croit qu'il détient un pouvoir mystique et se reconnaît comme un chaman et un guérisseur. Ce nouveau talent, bien qu'il n'ait aucun diplôme en médecine, lui donne le droit d'infliger les traitements qu'il juge appropriés pour guérir les membres du groupe.
Ce droit a pour conséquence d'entraîner la mort d'un enfant suite à la pratique d'une opération imposer par Moïse. Cette intervention chirurgicale visait à guérir l'enfant de ses souffrances :
Il lui injecte une poire d'alcool à friction dans l'estomac ; puis il stérilise une paire de ciseaux et, pendant que je maintiens Ézéchiel, il entreprend une excision partielle du prépuce dans la bosse pleine de sérositfn 127.
La relation qui unit Roch Thériault et les membres de son groupe est complexe. Dès la formation du groupe, les membres mentionnent l'amour et l'admiration qu'ils ont pour cet homme qu'ils décrivent comme infiniment bon et tout-puissant. Le récit d'un ancien membre illustre bien l'amour porté à ce « représentant de Dieu ».
J'étais fascinée par cet homme et amoureuse de lui. Cependant, dans ma pensée, il était l'un de ces êtres exceptionnels que l'on ne peut rejoindre et que l'on se contente de respecterfn 128.
Roch Thériault se sentait clairement supérieur aux membres du groupe et il avait constamment besoin que les membres lui confirment cet état. Avec le temps, les demandes sont devenues extrêmes et elles portaient directement atteintes à la sécurité physique des disciples. En voici un exemple :
Cain, fait Moïse, fidèle serviteur, m'obéiras-tu jusqu'au bout ? -Bien sûr, Papy! –Prouve-le-moi, Caïn : Coupe un orteil à ton épouse indocile. Je ne crois pas ce que je vois : pendant que les autres retiennent Salomé, son mari enserre son orteil entre les lames de la pince puis, d'un coup sec, net, sectionne l'orteil qui tombe suivi d'un jet de sangfn 129.
Bien que le doute s'installe peu à peu dans l'esprit de certains membres, aucun ne quitte le groupe.
Je me souviens de la secte de Charles Manson aux États-Unis, et si c'était la même chose ici ? Je me secoue : non ! Ce n'est pas pareil, ça ne peut pas être pareil. Moïse, lui, est bon. Est-ce que les voix ne m'ont pas dit qu'il persévérerait jusqu'au bout ! Et qui suis-je pour le juger ? N'est-il pas écrit dans Mathieu : « Ne jugez point afin que vous ne soyez point jugés. Car on vous jugera du jugement dont vous jugez, et l'on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurezfn 130.
De Roch ou de moi qui était le plus fou ? Nous l'étions tous les deux. Il se disait le seul représentant de Dieu et moi je me croyais une enfant du Seigneur, docile envers son représentant. Nous avons mangé tous les deux au même plat, celui de l'ignorance et de l'illuminationfn 131.
Ce n'est que plus tard, au cours des trois dernières années de l'existence de la commune, que je commençai à le regarder différemment et à soupçonner qu'il ne coïncidait par du tout avec l'image que je m'étais faite intérieurement de lui. Après cette constatation, surveillant de plus près ses comportements, il m'apparut de plus en plus flagrant que Thériault était aux prises avec un sérieux problème que je ne pouvais m'expliquer. C'est à ce moment là que j'ai senti quelque chose de très poignant étreindre mes entrailles, comme si le voile de la divinité et de la légende venait de se déchirer devant mon rêve, laissant transparaître l'amour naturel que je lui portaisfn 132.
Les membres ressentent un sentiment d'amour les uns envers les autres. De cette cohésion entre les adeptes naît un sentiment de différence avec le monde externe.
Nous formons une communauté presque cloîtrée partageant une très grande intimité. L'une des particularités de notre croyance est d'observer le sabbat. Ainsi le samedi les besognes sont arrêtéesfn 133.
Au début de l'existence du groupe, des conflits éclatent entre les membres. L'harmonie du groupe est toutefois rapidement retrouvée et les désaccords sont attribués aux comportements imparfaits des membres encore ancrés dans leurs habitudes impures.
Les jours passent et certains conflits commencent à éclater pour des riens. Untel est resté trop longtemps sur la toilette, tel autre sifflote et ça énerve. Nous avons tous nos habitudes personnelles et celles-ci se heurtent à cette vie en commun que nous essayons d'ériger et qui nous semble être celle que doivent avoir de vrais Chrétiens / / Ses paroles [Roch] sont sages et ont généralement pour résultat de raccommoder ceux qui, pour un grognement ou une porte qui claque, en viennent à échanger des propos agressifs. Il lui suffit de nous rappeler nos égarements passés pour que nous nous rendions compte à quel point ce que nous faisons ici est profitable pour tousfn 134.
Progressivement, l'idéal poursuivi par le groupe, celui de vivre dans un monde pur à l'extérieur du péché, a des effets importants sur les relations entre les membres. La vigilance et la jalousie deviennent de plus en plus importants.
Chacun surveille les comportements des autres pour éviter l'apparition de comportements déviants.
Chaque jour je trouve que Moïse un peu plus dur. Il s'en explique en nous disant que c'est par la mortification que l'on vaincra les faiblesses de la chair, mais quand même parfois je trouve que ça manque d'amour. Petit à petit, cette belle camaraderie du début se mue en méfiance. Comme si chacun voulait s'attirer l'assentiment de Moïse. Et certains réussissent. J'ai l'impression qu'il se forme deux groupes à l'intérieur de notre communauté : les favoris et les autres. Que faire pour revenir dans son estime?fn 135
Avec le temps, il semble de plus en plus évident qu'il existe un clivage entre les membres du groupe : les favoris et les souffre-douleur. Cette division renforce les conflits entre les membres. Ce sentiment entraîne même certaines personnes à accepter la violence que Moïse utilise envers d'autres membres comme une preuve de rapprochement à leur égard.
En moi-même je me rebelle. Je ne peux pas approuver ces traitements et pourtant, quelque part parce qu'il châtie ses favorites, j'ai l'impression qu'il est plus proche de moi. Que peut-être il va m'admettre plus près de lui. Je sais que je m'égare, mais je voudrais tellement être plus proche de lui. En est-il de même pour les autres lorsqu'il vient mon tour d'être châtiée ? fn 136
La description du cheminement du groupe ainsi que l'analyse partielle du fonctionnement permettent de constater la radicalisation des normes dans le groupe et l'augmentation du pouvoir de Moïse. Bien que le groupe ait partagé des normes initiales similaires à d'autres groupes spirituels, le conformisme et la soumission extrême des membres à l'autorité de Moïse conduit à l'acceptation ainsi qu'à l'utilisation de la violence interpersonnelle pour punir les membres déviants.
La vie dans le groupe de Roch Thériault a souvent été aliénante pour certains membres. Certains des faits communiqués par Gabrielle Lavallée ont d'ailleurs donné lieu à une enquête et à des accusations criminelles. Roch Thériault a été condamné pour une série de délits dont le meurtre de Solange Boilard.
Outre la condamnation du leader de ce groupe, est-ce qu'une intervention préliminaire aurait permis de préserver le droit à la vie et la sécurité de certains membres ? Il est difficile de répondre à cette question, de nombreux intervenants ont côtoyé le groupe de Roch Thériault lors de son séjour en Gaspésie : des policiers, des gardes forestiers, des psychiatres, etc. Aucun d'entre eux n'a constaté de violence physique et psychologique dans le groupe. Ce n'est qu'après la plainte d'un homme ayant fui le groupe, parce que Roch Thériault lui avait coupé un testicule, que le leader du groupe est emprisonné et les membres chassés de la forêt gaspésienne.
Ces intervenants sociaux auraient-ils pu agir différemment ? Il faut noter que la loi du silence régnait chez les membres. Ainsi, les policiers ou les gardes forestiers obtenaient difficilement de l'information, outre celle donnée par Roch Thériault. Les conditions de vie des membres étaient donc difficiles à évaluer. De plus, à cette époque, les membres répétaient sans cesse que la vie était belle et qu'ils étaient heureux d'être ensemble. La cohésion des membres était tellement forte qu'il était difficile de croire qu'un membre aurait pu tenté d'exprimer certaines insatisfactions quant à son mode de vie. De plus, peu de temps après sa sortie de prison en 1985, Roch Thériault et son groupe quittent la juridiction québécoise pour l'Ontario. Le suivi du groupe par les intervenants du Québec ne pouvait donc plus se faire.
L'intervention des services du Children's Aid Society de l'Ontario, après qu'un enfant se soit enfui du groupe, a permis aux enfants d'âge scolaire de fréquenter l'école et de vivre une vie plus stable grâce à leur relocalisation dans différentes familles ontariennes.
La violence envers les membres, les séances de guérisons, les opérations auraient-elles pu être évitées ? Bien que les policiers aient eu des doutes sur le traitement réservé aux membres du groupe, rien ne pouvait être fait sans des preuves pour corroborer les doutes. Sans preuve et sans la collaboration des membres, il était difficile d'intervenir.
En conclusion, la vie dans le groupe de Roch Thériault ne fut pas facile pour tous les membres, en plusieurs occasions les droits et des libertés des membres ont été bafoués. Roch Thériault a d'ailleurs été incarcéré pour plusieurs actes criminels qu'il a commis à l'endroit des membres du groupe. Toutefois, malgré les interventions multiples de certaines institutions gouvernementales tant au Québec qu'en Ontario, des dommages physiques, psychologiques et des pertes monétaires n'ont pu être évités. Le manque de preuve et l'absence de collaboration des victimes ont prolongé les souffrances des hommes, des femmes et des enfants. La loi du silence imposée par Roch Thériault et la soumission extrême des membres l'ont protégé du devoir de répondre de ses actes.