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Chapitre 2 : La Charte québécoise des droits et libertés

Dans toute société, il existe des lois, des règles et des codes auxquels les citoyens doivent se soumettre. Ces nombreuses lois et ces multiples règlements encadrent notre vie en société peu importe l'endroit où nous habitons. Au Québecfn 11, les droits et libertés de tout être humain sont protégés par plusieurs lois différentes, que ce soit la charte des droits et libertés du Québecfn 12, la charte des droits et libertés canadiennefn 13 le code civil ou le code criminel. Dans ce chapitre, seule la Charte des droits et libertés du Québec fera l'objet d'une analyse.

Au Québec, l'ensemble des lois et des règlements doit respecter les 38 premiers articles de la Charte québécoise des droits et libertés. Cette Charte est, par conséquent, un texte de loi qui influence la vie quotidienne des citoyens du Québec. Afin de bien comprendre les droits et les libertés qu'elle protège, un résumé succinct de la presque totalité des articles de la Charte québécoise des droits et libertés se retrouve dans ce présent chapitre. Par la suite, un bref résumé du rôle de la commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse est présenté.

L'objectif de l'adoption de la Charte des droits et libertés du Québec

La Charte des droits et libertés du Québec est un texte de loi qui a été adopté par l'Assemblée nationale du Québec le 27 juin 1975. Elle représente le cadre éthique qui doit assurer l'équilibre des droits individuels et collectifs au sein de la société québécoise. Les droits et les libertés qui y sont nommés touchent à l'ensemble des sphères de la vie et les articles de la Charte peuvent être appliqués à tout domaine d'activités relevant de la compétence provinciale. C'est pour cette raison que la Charte peut être invoquée quand un organisme donne des directives, offre des services ou adopte des comportements qui peuvent être considérés discriminatoires.

La Charte vise à garantir le respect de l'ensemble des droits et des libertés fondamentaux. Elle énonce les principes de dignité, d'égalité et de liberté qui sont les fondements de la justice et de la paix.

Les principes directeurs de la Charte

La Charte stipule, dans son préambule, les principes particuliers qui orientent l'ensemble de ce texte de loi. Les voici :

« · Tout être humain possède des droits et libertés intrinsèques, destinés à assurer sa protection et son épanouissement ;

· Tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection de la Loi ;

· Le respect de la dignité de l'être humain et la reconnaissance des droits et libertés dont il est titulaire constituent le fondement de la justice et de la paix ;

· Les droits et libertés de la personne humaine sont inséparables des droits et libertés d'autrui et du bien-être général ;

· Il y a lieu d'affirmer solennellement dans une Charte les libertés et droits fondamentaux de la personne afin que ceux-ci soient garantis par la volonté collective et mieux protégé contre toute violation. »

À qui s'applique la Charte des droits et libertés du Québec ?

La Charte s'applique à tout être humain sur le territoire québécois.

Il existe un large consensus concernant les principes directeurs de la Charte des droits et libertés et, dans l'adoption de leurs règles, les organismes veillent habituellement à les respecter. S'il arrive toutefois qu'une règle vienne à l'encontre de la Charte des droits et libertés, et que la situation en soit une de discrimination ou d'exploitation deux recours sont possibles aux personnes qui s'estiment lésées :

· Judiciaire : la personne peut décider de s'adresser aux tribunaux ;

· Administratif : la personne peut décider de s'adresser à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Les droits et libertés inaliénables

La Charte précise que chaque être humain a le droit :

Les droits fondamentaux

Les libertés fondamentales

Ø À la vie, à la sûreté, à l'intégrité et à la liberté de sa personne (article 1) ;

Ø Au secours lorsque sa vie est en péril et de porter secours, personnellement ou en obtenant du secours, pour celui dont la vie est en péril, à moins d'un risque pour la personne ou pour les tiers ou d'un autre motif raisonnable (article 2) ;

Ø À la sauvegarde de sa dignité, de l'honneur et de sa réputation (article. 4) ;

Ø Au respect de sa vie privée (article 5) ;

Ø À la jouissance paisible et à la disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi (article 6) ;

Ø À l'inviolabilité de sa demeure (article 7) ;

Ø Que nul ne puisse pénétrer dans la demeure d'autrui sans son consentement (article 8) ;

Ø Au respect du secret professionnel (article 9).

Ø De conscience ;

Ø De religion ;

Ø D'opinion ;

Ø D'expression ;

Ø De réunion pacifique ;

Ø D'association. (article 3).

L'exercice des droits fondamentaux

L'article 9.1 de la Charte limite l'exercice des droits et libertés individuels :

« Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec ».

Les droits et les libertés de chacun doivent donc respecter les valeurs démocratiques, l'ordre public et le bien-être général. La signification de l'expression «valeur démocratique» énoncée dans la Charte québécoise a été balisée par la Cour suprêmefn 14. Les valeurs démocratiques doivent donc être comprises comme :

· Le respect de la dignité de l'être humain ;

· La justice ;

· Le respect de l'égalité sociale ;

· Le respect de chaque culture et de chaque groupe ;

· La foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes de la société.

Par cet article, la Charte québécoise reconnaît donc que les droits et libertés de la personne sont inséparables des droits et libertés d'autrui. Dans l'exercice de ses droits et libertés, chacun a la responsabilité sociale de respecter ceux des personnes avec lesquelles il cohabite. Un groupe ne peut donc pas, au nom de ses convictions, avoir des comportements et/ou une attitude à l'encontre des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général.

Lorsque l'exercice de la liberté d'expression est conflictuel avec les valeurs démocratiques, il est possible d'apporter à cette liberté des limites ponctuelles découlant du principe général de l'article 9.1.

Le droit à l'égalité

La Charte vise à garantir à toute personne une protection contre toute forme de discrimination illégale. Ainsi, dans les articles 10 et 10.1, il est précisé que toute personne a droit à la reconnaissance, à l'exercice de ses droits et libertés sans distinctions eu égard à certains critères spécifiques comme la race ou le sexe.

L'article 10 de la Charte québécoise spécifie 14 critères qui ne peuvent être utilisés pour exclure ou distinguer une personne. Parmi ces motifs, la Charte énonce :

la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap

Il est également noté dans la Charte les lieux ou les contextes dans lesquels toute forme de distinction ou d'exclusion est interdite :

· Dans la publicité (article 11) ;

· Dans un acte juridique (articles 12 à 14) ;

· Dans l'accès à des lieux publics (article 15) ;

· En matière d'emploi (articles 16-18.1, 19 et 20) ;

· Dans une situation qui pénaliserait dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu'elle a été déclarée coupable d'une infraction pénale ou criminelle, si celle-ci n'a aucun lien avec l'emploi ou si cette personne a obtenu le pardon (article 18.2).

La Charte énonce donc l'égalité entre toutes les personnes en précisant les facteurs et les contextes dans lesquels une personne ne peut être distinguée, exclue ou préférée.

Les droits politiques

La charte garantie à chaque citoyen certains droits politiques, les voici :

· Droit d'adresser des pétitions à l'Assemblée nationale (article 22) ;

· Droit de vote (article 22) ;

· Droit de se porter candidat lors d'une élection (article 22).

Les droits judiciaires

La Charte protège également le maintien d'un processus juste et équitable d'arrestation, de fouille, de détention et de comparution devant les tribunaux aux personnes accusées d'avoir enfreint une loi. Les différents droits judiciaires stipulés par la Charte sont inscrits dans les articles 23 à 37. Voici un bref résumé de ces articles :

· Toute personne a droit à une audition impartiale devant un tribunal qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou pour une accusation portée contre elle (article 23) ;

· La privation de libertés doit concerner un motif prévu par la loi et suivre une procédure spécifique (article 24) ;

· Les saisies, les fouilles ainsi que les perquisitions ne doivent pas être abusives (article 24.1) ;

· Les traitements de toute personne arrêtée doivent être emprunts de respect et d'humanité (article 25) ; la personne a droit d'être détenue dans un établissement distinct selon son sexe, son âge ou sa condition physique ou mentale (article 26) ; les personnes accusées ont droit d'être séparées des personnes qui purgent une peine (article 27) ;

· Une personne a droit d'être informée des motifs de son arrestation (articles 28 et 28.1) ; la personne arrêtée a droit de prévenir ses proches et a droit d'être représentée par un avocat (article 29) ;

· L'accusé doit comparaître devant un tribunal le plus rapidement possible (article 30) ; il doit par la suite, le cas échéant, être libéré ou détenu en attendant son procès (articles 30 et 32) ; il doit toutefois être jugé dans un délai raisonnable (article 32,1) ;

· Toute personne est innocente jusqu'à preuve du contraire (article 33) ; elle ne peut être contrainte à témoigner contre elle-même (article 33,1) ;

· Toute personne a droit à l'assistance d'un avocat (article 34) ;

· Tout accusé a droit à une défense pleine et entière (article 35) et a droit d'être assisté d'un interprète (article 36) ;

· Une personne ne peut être jugée de nouveau pour un acte qui lors de sa commission n'était pas une violation de la loi (article 37) ; une personne ne peut être jugée deux fois pour le même crime (article 37,1) ;

· Une personne ne peut être incriminée à la suite de son témoignage devant la cour (article 38).

Les droits économiques et sociaux

La Charte assure le maintien de certains droits économiques et sociaux. Voici les droits protégés par la Charte :

· Tout enfant a droit à la protection et à la sécurité et l'attention des personnes qui en sont responsables (article 39) ;

· Toute personne a droit à l'instruction publique gratuite (article 40) ; les parents ont droit au choix de l'éducation religieuse ou morale pour leurs enfants (article 41) ainsi qu'au choix d'une institution scolaire privée pour leurs enfants (article 42) ;

· Les minorités culturelles ont droit de maintenir et de faire progresser leur vie culturelle (article 43) ;

· Toute personne a droit à l'information (article 44) ;

· Toute personne a droit à de l'assistance financière et à des mesures sociales (article 45) ;

· Toute personne a droit à des conditions de travail justes et raisonnables (article 46) ;

· Les époux ont, dans le mariage, les mêmes droits, obligations et responsabilités (article 47) ;

· Toute personne âgée ou handicapée a droit d'être protégée contre toute forme d'exploitation (article 48).

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunessefn 15

« La Commission a pour mission de veiller au respect des principes énoncés dans la présente Charte ainsi qu'à la protection de l'intérêt de l'enfant et au respect des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la protection de la jeunesse; à ces fins, elle exerce les fonctions et les pouvoirs que lui attribue cette Charte et cette loi.» (Article 57)

La Commission a pour fonction d'assurer la promotion et le respect des principes énoncés dans la Charte (article 71). Il faut toutefois noter que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse n'a qu'un pouvoir d'enquête et de recommandation et, le cas échéant, celui de saisir un tribunal. Voici une liste de l'étendue du rôle et des pouvoirs de la commission des droits et libertés :

· Elle peut faire enquête de sa propre initiative ou lorsqu'une plainte lui est adressée. La plainte peut porter sur toute situation qui lui paraît constituer :

o une discrimination (articles 10 à 19 et 89) ou

o une violation du droit à la protection contre l'exploitation des personnes âgées ou handicapées énoncé au premier alinéa de l'article 48 ;

· Elle doit favoriser un règlement entre les personnes impliquées (la personne dont les droits sont lésés et la personne responsable de ce fait);

· Elle signale éventuellement au Curateur public tout besoin de protection qui relève de la compétence de celui-ci dans les cas d'exploitation de personnes âgées ou handicapées ;

· Elle élabore et elle applique un programme d'information et d'éducation sur les droits et libertés énoncés dans la Charte ;

· Elle dirige et elle encourage les recherches et les publications sur les libertés et droits fondamentaux ;

· Elle relève les dispositions des lois du Québec qui seraient contraires à la Charte et elle fait au gouvernement les recommandations appropriées ;

· Elle reçoit les suggestions, les recommandations et les demandes concernant les droits et libertés de la personne ;

· Elle coopère avec toute organisation vouée à la promotion des droits et libertés de la personne, au Québec ou à l'extérieur ;

· Elle fait enquête sur une tentative ou sur un acte de représailles ainsi que sur tout autre fait ou omission qu'elle estime constituer une infraction à la présente Charte et elle en fait rapport au procureur général.

Qui peut porter plainte à la Commission ?

« Peut porter plainte à la Commission toute personne qui se croit victime d'une violation des droits relevant de la compétence d'enquête de la Commission. Peuvent se regrouper pour porter plainte, plusieurs personnes qui se croient victimes d'une telle violation dans des circonstances analogues » (article 74).

Les enfants et les groupes

La Loi sur la protection de la jeunesse oblige à signaler au Direction de la Protection de la Jeunesse (DPJ) la situation d'un enfant dont la sécurité ou le développement est compromis (art. 38-39 LPJ). Cette obligation s'applique, par exemple, dans le cas où le mode de vie des parents constitue pour lui une menace à sa sécurité ou son développement.

La Commission des droits et libertés et de la jeunesse ne reçoit pas ces signalements. Mais elle peut faire enquête sur la façon dont le DPJ respecte les droits des enfants dont la situation lui est signalée.

La charte un texte vivant ! L'exemple du cas des libertés religieuses.

La définition et l'étendue des droits et libertés apparaissent bien délimitées par les articles de la charte résumés précédemment. Toutefois, la signification exacte de chacun des droits et libertés inscrits dans la Charte est définie progressivement lorsque des causes judiciaires sont portées devant les tribunaux. Les jugements colligés permettent de définir la façon d'interpréter les lois concernées.

Les droits et libertés inscrits dans la Charte québécoise se modifient en fonction des valeurs importantes de l'époque où la cause est entendue. Ainsi d'une époque à une autre, des plaintes portées devant les tribunaux conduiront à la modification du sens ou de l'étendue d'un droit.

La Charte assure par exemple la protection de la liberté de religion, elle ne définit toutefois pas ce qu'elle entend par le terme «religion». Pour comprendre le sens de ce mot et de ce droit, il faut se référer à la jurisprudence. Les décisions rendues par les différents tribunaux québécois n'en donnent aucune définition précise. Certains jugements ont toutefois permis de tracer les limites des libertés religieuses fn 16 fn 17 :

· Le droit de croire ce que l'on veut en matière religieuse ;

· Le droit de manifester ses croyances par le culte et la pratique ;

· Le droit de propager ses croyances.

Selon le jugement dans l'affaire R.C. Big M Drug Mart, la liberté de religion comporte deux dimensions :

· Une dimension positive : l'individu est libre de croire ce qu'il veut et de professer ses croyances ;

· Une dimension négative : Personne ne peut être forcé d'embrasser une conception religieuse ou d'agir en opposition avec qu'il croitfn 18.

Une personne peut également demander que ses croyances personnelles soient considérées par son milieu comme une religion. Cette acceptation lui donne droit, par exemple, de se voir reconnaître certaines pratiques par son employeur. Les croyances personnelles peuvent être considérées selon la loi comme des convictions religieuses à deux conditionsfn 19 :

· La croyance invoquée par la personne fait figure de religion dans sa vie ;

· La personne fait preuve de sincérité dans l'affirmation précédente.

Ce droit est toutefois limité. L'individu ne peut justifier tous ses comportements au nom de la religion, son comportement doit respecter les valeurs démocratiques protégées par la Charte. Par exemple, dans l'affaire Harroldfn 20, la Cour a reconnu coupable un membre d'un groupe religieux d'infraction à la loi anti-bruit de la ville de Vancouver. La Cour a spécifié que le membre ne pouvait pas, sous le couvert de sa religion, violer la loi municipale.

La liberté de culte d'un individu ou d'un groupe est limitée lorsqu'elle s'oppose à la paix et à la sécurité publique. Ainsi, la Charte peut fixer la portée de la liberté de religion et en établir l'exercice de façon à protéger l'ordre public, les valeurs démocratiques et le bien-être général des citoyens (Charte québécoise, art. 9.1).

La Charte est donc un texte de loi qui, lorsque des plaintes sont formulées devant les tribunaux, peut être progressivement précisé. Cette loi fondamentale est donc souple puisqu'elle s'adapte à l'époque et aux changements de la culture dans laquelle elle est appliquée.

Conclusion

La Charte représente le cadre éthique qui doit gouverner l'équilibre des droits individuels et collectifs au sein de la société québécoise. Elle vise à garantir qu'un ensemble de droits et de libertés fondamentaux soit respecté, par exemple: l'accès à l'égalité, l'accès à des services juridiques équitables, l'accès à l'équité au plan économique et au plan social, le droit à l'éducation et le droit à la justice. Toutefois, le respect des droits et libertés individuels doit se faire dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des êtres humains. Ainsi, un membre d'un groupe ou une personne ne peut uniquement invoquer le respect de ses libertés fondamentales pour se voir éviter une sanction suite à la violation d'une loi.

Les droits et libertés individuels sont garantis dans la Charte québécoise. Ces derniers sont parfois brimés et dans de telles circonstances, la Commission a pour mission de veiller au respect des principes énoncés dans la présente Charte ainsi qu'à la protection de l'intérêt de l'enfant et au respect des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la protection de la jeunesse. Par conséquent, lorsqu'une personne, un groupe ou une organisation considère que leurs droits et libertés ont été ou sont lésés, ils peuvent porter plainte à la Commission ou devant les tribunaux.

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